[Dernière mise à jour le 13/08/2024]
Article rédigé pour la revue des ingénieurs des Mines pour leur numéro "Spécial Tourisme" à paraître dans quelques semaines. NB : c'est une version bêta, pas le texte définitif.
Telligo et ses colonies de vacances à thèmes
Introduction
Formé en tant qu'ingénieur (X, Mines de Paris), j’ai débuté ma carrière de façon très traditionnelle en tant que jeune haut fonctionnaire : à 26 ans, j’étais à la tête de la division Nord-Pas-de-Calais de l’Autorité de Sûreté Nucléaire.
Presque 15 ans plus tard, mon métier consiste à organiser des colonies de vacances ! Un parcours inattendu ? Ne devient-on pas plutôt animateur à 18 ans... avant de passer à des occupations plus « sérieuses » par la suite ?
Cependant, les colonies de vacances constituent un secteur d’activité à part entière, pesant près d’un milliard d’euros, traversant une profonde transformation, et dans lequel il est possible – tout comme dans de nombreux métiers « traditionnels » – d’introduire de véritables innovations, sources de croissance.
Destination Découverte, le groupe que j’ai fondé et que je dirige, organise chaque année les vacances de 30 000 enfants, générant un chiffre d’affaires consolidé d’environ 30M€. Telligo, notre principale filiale, a développé une offre originale et innovante, qui a soutenu son développement au cours des 10 dernières années, pour devenir – à la petite échelle de notre secteur – un acteur important sur le marché.
Les colonies de vacances en France
Chaque année, plus d’un million d’enfants participent à des accueils collectifs de mineurs (terme réglementaire pour les colonies de vacances). Parmi les 8-16 ans, plus d’un enfant sur dix part pour une durée moyenne de 12 jours, que ce soit en colonie de vacances en France (900 000 enfants), en séjour de découverte culturelle à l’étranger (40 000 jeunes), ou en séjour linguistique (120 000 jeunes). Après une longue période de déclin depuis les années 60, les chiffres se sont globalement stabilisés au cours des 10 dernières années.
Notre secteur génère un chiffre d’affaires d’environ un milliard d’euros (à titre de comparaison, les Français dépensent 30 milliards d’euros chaque année pour leurs vacances à l’étranger). Les organisateurs de colonies de vacances sont soumis au Code du Tourisme, ce qui fait de moi, juridiquement parlant, un agent de voyage. Destination Découverte est membre du CETO, l’association des Tour Opérateurs français. Cependant, bien que nous fassions partie du secteur du tourisme, nous opérons dans un segment très spécifique, une véritable niche avec ses propres particularités :
Le segment est extrêmement fragmenté : en 2004 (dernière année pour laquelle le Ministère de la Jeunesse a publié des statistiques !), il y avait près de 8 000 organisateurs pour 32 000 séjours. La concentration du secteur a débuté et la crise économique semble en accélérer le processus... mais il reste encore un long chemin à parcourir ! Il demeure largement associatif, avec la coexistence de véritables associations portées par des projets et des valeurs fortes (de nombreuses petites associations bénévoles, diverses fédérations de scoutisme, etc.), d’autres associations dont les produits et méthodes commerciales ressemblent beaucoup à ceux d’entreprises (comme l’UCPA, dont la branche dédiée aux mineurs non accompagnés est devenue en quelques années un acteur de premier plan dans le secteur), et des PME qui assument pleinement leur orientation commerciale.
Ce qui nous distingue le plus du marché général du tourisme, c’est le cœur même de notre métier : contrairement à mes collègues du secteur adulte, je ne vends pas principalement du transport et de l’hôtellerie. Dans mon domaine, ces services sont secondaires par rapport à une prestation bien plus importante : la prise en charge de votre enfant.
Mon activité principale consiste à recruter, former, et encadrer 400 directeurs et 3 500 animateurs qui s’occupent chaque année de 30 000 enfants :
- Pour les plus jeunes, il s'agit de gérer la vie quotidienne et les rythmes de vie, d'organiser la toilette et le brossage des dents, mais surtout d'accompagner cette grande expérience d’être loin de sa famille pour la première fois.
- Pour les 8-12 ans, il s’agit de proposer des activités ludiques et éducatives, d’organiser de grands jeux, d’animer des veillées mémorables, tout en posant un cadre sécurisant.
- Avec les adolescents, il est essentiel de trouver le juste équilibre, de savoir motiver et encourager, de les aider à mener à bien leurs idées et projets, tout en restant présent en cas de besoin.
Le législateur a bien compris les particularités de notre métier en créant une réglementation spécifique aux accueils collectifs de mineurs, distincte du Code du Tourisme, et qui s’applique en complément de celui-ci. Elle prévoit notamment un taux d’encadrement minimum, des qualifications pour les directeurs et animateurs des séjours, des certifications et diplômes d’État pour les activités sportives à risque, des modalités de suivi sanitaire des jeunes, ainsi qu’une habilitation des lieux d’accueil, etc. Il est à noter que les accidents sont significativement moins fréquents en accueil collectif de mineurs que dans le cadre familial, sans doute grâce à ce cadre réglementaire.
Les acteurs du secteur adulte ont également bien saisi la spécificité de notre activité. Certes, de nombreux villages vacances proposent des clubs enfants, ce qui est une prestation pratique pour les parents et souvent de grande qualité... mais cela reste très différent de mon métier, car vous récupérez vos enfants tous les soirs, voire à midi et le soir. À ma connaissance, aucun acteur du tourisme adulte n’est présent, ni directement avec sa marque, ni même indirectement par une participation, dans notre segment.
Les colonies de vacances à l’étranger
Chaque année, environ 40 000 jeunes Français partent à l'étranger pour découvrir le monde (soit un total de 160 000 jeunes en incluant ceux qui participent à des séjours linguistiques).
Maintenant, penchons-nous sur les jeunes Européens [1] qui partent en colonie de vacances, que ce soit dans leur propre pays ou à l’étranger. Telligo a réalisé des études de marché en Europe, suivies d’un test commercial dans quatre pays : Allemagne, Royaume-Uni, Italie et Espagne. Nous avons dépassé le stade du test en établissant une véritable (bien que modeste) présence sur le marché allemand pendant trois ans.
Cependant, nous avons finalement décidé d’abandonner ce projet : le marché européen en dehors de la France est très restreint (un million de jeunes Français partent en colonie de vacances chaque année, soit environ 3 à 4 fois notre estimation pour l’ensemble des quatre pays testés). Les tests commerciaux ont été très décevants, à l'exception de l'Allemagne, qui paraissait prometteuse. Dans ce pays, la fidélisation des clients s’est révélée insuffisante pour soutenir la croissance, comme si nos clients – bien que très satisfaits – se contentaient d’un seul séjour.
Je suis convaincu que la France et les États-Unis partagent deux critères-clés pour le développement durable de notre secteur d’activité : une natalité relativement élevée et un besoin important de garde d’enfants pendant les vacances d’été (9 semaines de vacances pour les enfants en France contre 6 en Allemagne ; des vacances très courtes pour les parents aux États-Unis).
Telligo et l’émergence des colonies à thème
Parmi les milliers d’organisateurs français de colonies de vacances, j’ai fondé et dirige la société Telligo, qui accueille chaque année 15 000 enfants, principalement dans le cadre de colonies de vacances à thème.
Tout a commencé à la fin de 1993 : jeunes étudiants des grandes écoles, nous souhaitions partager notre passion pour les sciences avec des plus jeunes. Le thème de notre premier séjour était l’astrophysique (le Big Bang, la vie et la mort des étoiles, la relativité…) et Telligo s’appelait alors ‘Altaïr’, en référence à l'une des étoiles les plus brillantes du ciel d’été et à la dernière mission spatiale avec un Français à son bord.
Notre enthousiasme juvénile rivalisait avec notre inexpérience : nous ne pensions pas devoir annuler tous nos premiers séjours faute de participants, ni devoir surmonter tant d’obstacles administratifs. Rétrospectivement, qui aurait cru que Telligo existerait encore vingt ans plus tard et accueillerait des milliers de jeunes ?
Cette belle aventure a débuté grâce à un heureux hasard : lors de notre premier séjour (qui rassemblait 9 jeunes et les 2 fondateurs), nous n’avions pas le budget pour embaucher les animateurs BAFA initialement prévus. Nous avons donc assumé les rôles de « spécialistes » scientifiques et d’animateurs de la vie quotidienne. Sans le savoir, nous avons créé la formule qui reste, aujourd’hui encore, au cœur de notre valeur ajoutée :
- Un thème fort qui attire des enfants passionnés,
- Des animateurs eux-mêmes experts, désireux de transmettre leur passion,
- … et donc une véritable « rencontre » entre jeunes et adultes durant le séjour.
Les années suivantes, en conservant cette alchimie, nous nous sommes développés et avons élargi les thèmes abordés, passant de l’astrophysique aux sciences et techniques en général, puis des sciences à d’autres passions des enfants : séjours sur les animaux, la nature, l’histoire, séjours artistiques…
Fin 2000, j’ai quitté l’Autorité de Sûreté Nucléaire pour devenir chef d’entreprise à plein temps, transformant Altaïr en PME. La communication est devenue progressivement plus professionnelle, l’équipe permanente s’est structurée, et nous avons investi (à notre échelle) pour nous faire connaître : le chiffre d’affaires a alors commencé à croître rapidement, passant de 250 000 € en 2000 à 3 M€ en 2003.
Le développement s’est poursuivi à un rythme soutenu, puisqu’entre 2003 et 2007, le chiffre d’affaires a été multiplié par cinq pour atteindre 15 M€ [2]. Cette deuxième phase de croissance est en grande partie due à une innovation simple mais radicale, qui a transformé Telligo et contribué, dans une certaine mesure, au renouveau de notre secteur.
En 2003, tous nos séjours étaient multi-sciences et offraient, selon le lieu, un mélange d’ateliers scientifiques. Par exemple, un séjour pour les 11-14 ans proposait le choix suivant : Micro-fusées / La communication animale / Jeux mathématiques / Les volcans (chaque enfant choisissant deux ateliers). Les séjours incluaient souvent des visites de sites ou de musées à caractère scientifique.
L’atelier ‘Micro-fusées’ attirait principalement des garçons passionnés de physique et de technologie, tandis que l’atelier ‘La communication animale’ séduisait plutôt des filles passionnées par les animaux et la biologie.
En 2006, nous avons introduit des séjours entièrement thématiques. Par exemple, le séjour « Décollage immédiat » comprenait les micro-fusées, d’autres ateliers de physique et de technologie, ainsi qu’une visite à la Cité de l’Espace de Toulouse. De même, le séjour « Planète Sauvage » regroupait « La communication animale », d’autres ateliers sur les animaux, et une visite au parc animalier de Planète Sauvage.
Cette évolution a permis à Telligo de renforcer la cohérence de ses séjours [3], qui s’articulaient déjà autour d’ateliers thématiques. Désormais, le thème principal n’était plus simplement ‘les sciences en général’, mais ‘une discipline scientifique spécifique’.
Conséquence n°1 : en segmentant mieux nos offres, nous attirons des enfants et des adultes encore plus motivés, renforçant ainsi la connexion entre adultes et enfants autour du thème.
Mais surtout, conséquence n°2, ce modèle fonctionne au-delà de la niche spécifique des sciences, et progressivement, nous avons pu organiser des séjours thématiques autour des différentes passions des enfants.
Aujourd’hui, notre best-seller est « Mon ami Dauphin » : les enfants sont encadrés par des animateurs ayant une formation en biologie, voire par de véritables spécialistes de la vie marine, avec un véritable échange entre adultes et enfants sur les dauphins et le monde marin. On s’éloigne des sciences dures, mais le thème reste fort. Vous serez peut-être surpris d’apprendre que les enfants de 8-12 ans rêvant de dauphins sont bien plus nombreux que ceux qui veulent résoudre des équations mathématiques !
Ce qui est le plus frappant, c’est de constater, une dizaine d’années plus tard, que Telligo a été largement imité par d’autres organisateurs, dont les séjours sont essentiellement multi-activités et ne reposent pas sur une véritable interaction adulte-enfant autour d’un thème spécifique. Quand j’étais enfant, partir en colonie signifiait « 2 semaines en Haute Savoie ». Le séjour, autant que je m’en souvienne, comprenait quelques activités sportives (sports collectifs, une sortie piscine, une initiation au tennis), des randonnées, la visite d’une fromagerie, etc. De tels séjours, sans véritable angle, sont aujourd’hui en voie de disparition. Les organisateurs de colonies de vacances proposent désormais des séjours similaires à ceux d’il y a 30 ans, mais avec un titre et un thème : cette thématisation souvent superficielle est devenue un précieux outil marketing pour les parents en quête de la colo idéale dans un marché hyper fragmenté et offrant une multitude de choix.
Conclusion
Entre 2008 et 2011, Telligo a non seulement maintenu une croissance organique solide, mais a également été très actif dans le domaine de la croissance externe grâce aux diverses acquisitions réalisées par sa maison mère, Destination Découverte. Ces acquisitions ont demandé un investissement considérable en termes d’énergie et de ressources, mais elles ont grandement enrichi notre offre, en particulier en ce qui concerne les séjours culturels à l’étranger et les stages sportifs. Cette diversification a permis à Telligo de s’implanter sur de nouveaux segments de marché, tout en continuant à répondre aux besoins variés des jeunes.
Cependant, au-delà de cette expansion, nous avons pris conscience de l’importance de revenir à ce qui fait l’essence même de Telligo : les colonies à thème. Depuis 18 mois, nous avons donc recentré nos efforts sur ce modèle qui a fait notre succès. Nous avons intensifié notre travail sur la qualité des séjours, en veillant à ce que chaque détail contribue à une expérience inoubliable pour les enfants. Cela passe par un recrutement encore plus sélectif d’animateurs, choisis non seulement pour leurs compétences, mais aussi pour leur passion et leur affinité avec les thèmes des séjours. De plus, nous avons renforcé la pertinence des contenus pédagogiques pour garantir que chaque séjour soit à la fois ludique, enrichissant et cohérent avec les attentes des jeunes participants.
Malgré un contexte économique difficile, l’année 2012 a été marquée par de belles réussites, confirmant la pertinence de notre stratégie. En revenant à nos fondamentaux tout en innovant constamment, nous avons su capter l’intérêt et la confiance de nouvelles générations de parents et d’enfants. Cette dynamique positive nous rend très optimistes pour 2013. Nous sommes convaincus que notre engagement envers la qualité et la thématisation, qui a toujours été notre force distinctive, continuera à porter ses fruits et à nous permettre de rester un acteur incontournable sur le marché des colonies de vacances.
[1] N’ayant pas fait de recherches approfondies hors d’Europe, je ne peux y être très précis. Il faut toutefois citer le cas des USA où 8 millions de jeunes Américains partiraient en colonie de vacances (« Summer Camp ») tous les ans.
[2] Accessoirement, la société va devenir rentable. Fin 2003, les pertes cumulées des premières années avaient conduit à une crise de trésorerie qui aurait pu sonner notre mort prématurée.
[3] Préalablement, cela nécessité d’avoir parfaitement compris et formalisé quelle est cette logique. Dit différemment, il nous a fallu comprendre que l’alchimie qui se crée autour du tryptique « thème fort – enfant enthousiaste – animateur passionné » était le facteur clé de succès de Telligo sur son marché. Il faut bien reconnaître que nous n’avons pas eu une approche si théorique et que c’est au fil des années et de la diversification que nous l’avons formalisé.